Quand on le rencontre pour la première fois, c’est sa douceur et sa sagesse qui nous marquent. Très vite, son humour embarque et on comprend aisément pourquoi c’est un honneur pour la Faculté de l’éducation permanente (FEP) de bénéficier de son soutien et de sa collaboration au plan d’action en décolonisation, réconciliation et autochtonisation. Nick Huard, de son nom mi’gmaw Kwimou, est non seulement un Aîné de référence en matière d’art et de cultures autochtones, mais il est aussi un passeur de savoirs passionnant. Portrait d’un conférencier inspirant et humble, d’une simplicité et d’une analyse sans pareille.
Un grand voyageur
La FEP ne pouvait pas rêver meilleur Aîné pour l’accompagner dans l’autochtonisation de son enseignement. Originaire du Clan de l’Ours de Listuguj, en Gaspésie, Nick Huard a été cinéaste, photographe, correspondant de guerre et il est devenu un artiste célèbre pour ses capteurs de rêves. Il est aujourd’hui Aîné, c’est-à-dire qu’il a acquis suffisamment d’expérience de vie et de connaissance des traditions autochtones pour offrir des conseils et des enseignements sur ses savoirs. C’est donc un gardien du savoir et de la continuité culturelle autochtone* qui en connaît beaucoup sur le monde.
Le monde, il l’a parcouru plusieurs fois et, toujours équipé de bonbons à l’érable – le meilleur ambassadeur qui soit, selon lui – il a rencontré, filmé, enregistré, photographié, échangé avec les Autochtones du monde entier. Comme lors de cette conférence de langues circo-polaire où il rencontre des Inuit, des Samis de Laponie, des Iakoutes du nord de la Russie, des Mongoles… La plume d’aigle accrochée à son micro ne laisse pas les gens indifférents et suscite les discussions. « Ma plume d’aigle attirait beaucoup l’attention des autres Nations que je rencontrais. Ils me demandaient pourquoi. Pour moi, l’aigle touche la maison du créateur avec ses plumes, donc j’en mets une sur mon micro pour que ce qui y rentre soit de la bonne information. » partage l’Aîné avec un sourire. « À chaque fois qu’on me demandait d’où je venais, j’offrais un bonbon à l’érable en disant : tiens, je viens de là. Ça fait des bons contacts, ça! Rires. À mon tour, j’ai reçu deux douzaines de plumes d’aigle de la Mongolie. Un très beau cadeau. »
Pourtant les échanges n’ont pas toujours été si faciles. Après deux ans à travailler dans l’Arctique, il débute dans une agence de presse où il entend au détour d’une conversation de bureau entre ses collègues « je n’ai pas envie de me faire tuer en zone de guerre, envoie donc le Sauvage ». « C’est comme ça que je suis devenu photo-correspondant de guerre » se souvient Nick Huard. « J’ai couvert les guerres du Vietnam, du Liban, du Nicaragua, d’El Salvador, des Îles Malouines… Enregistrer l’histoire de la planète, c’est un défi. Il fallait y être. »
De cinéaste à artiste
En 1986, il est victime d’un accident grave et c’est lors de sa convalescence qu’il assiste à un pow-wow. « J’ai vu ce jour-là un Aîné qui faisait un capteur de rêves pour son petit-fils. Je n’en avais jamais fait, mais c’est comme si j’avais fait cela toute ma vie. C’est comme ça que j’ai commencé à faire des capteurs de rêves. Uniquement avec des matériaux nobles et naturels comme du bois, de la babiche, des perles de corne… » explique l’Aîné. Aujourd’hui devenu une référence en la matière, il a notamment été invité à fabriquer un capteur de rêves géant pour le 150e anniversaire du Canada en 2017 ou encore pour l’Université de Montréal.
« C’est quand j’ai vu comment les gens nous représentaient dans le cinéma que j’ai eu envie de partager nos traditions et d’éduquer les gens. Un tipi, ça ne s’installe pas sur le flanc d’une montagne, ce ne sont pas des décorations de Noël ! Quant aux plumes de coiffes… ce ne sont pas des plumes de poules ! » souligne Nick Huard, qui a travaillé sur de nombreux tournages pour changer petit à petit l’image des Autochtones et est aujourd’hui conférencier à l’Université de Montréal. « J’ai fait de la recherche à partir des questions qui m’étaient posées. Sur l’île de la Tortue, notre nom pour l’Amérique, il y a 503 Nations. Chacune d’entre elles a ses habitudes, ses coutumes. Par exemple, on parle de mocassins, mais chaque Nation a son couvre-pied qui l’identifie. Les coiffes, c’est pareil, c’est comme un uniforme militaire. Tu peux savoir d’où la personne vient, ce qu’elle a fait, quel régiment… Nous avons été dénigrés pendant si longtemps. Les 90% de notre culture ont été détruits et les 10% qui restent, on y tient mordicus. Nous avons une culture. »
Transmettre sa culture dans les Jardins de l’Université de Montréal
Quand on l’interroge sur ce qu’il a envie de transmettre, l’artiste, qui vit aujourd’hui à Kahnawake, répond aussitôt : « ce que j’ai envie de transmettre, c’est l’idée qu’il faut « toucher à terre et croire en ses rêves ». Ôter ses bottines, débarquer du béton et toucher la terre. À Kahnawake, il n’y a pas de mot mohawk pour dire « arrêt », donc il est écrit sur les panneaux arrêt « tiens-toi droit », « tésta’n ». Alors mon conseil, c’est « tésta’n » et respire. C’est ce que vont permettre les Jardins autochtones de l’Université de Montréal sur lesquels je travaille avec la FEP et d’autres facultés et services. Cela me donne une chance d’expliquer justement ce que c’est que « toucher la terre ».
La FEP a en effet initié un projet de jardins culturellement sécuritaires et pertinents pour les personnes autochtones de toutes les Nations qui étudient ou travaillent sur les différents campus de l’Université de Montréal. Ces lieux d’éducation permettront également la sensibilisation des personnes allochtones aux cultures autochtones, la découverte de plantes médicinales et ils permettront d’étudier à l’extérieur, à la manière autochtone.
« Quand je vois des jeunes étudier dans ces jardins au lieu d’être dans une salle avec des néons, je me dis qu’on est sur la bonne voie. Quand on a des questions, il faut « sortir de la boîte » et aller dans la Nature, c’est elle qui va nous donner les réponses. » soutient l’Aîné. « Je remercie la FEP et l’Université de Montréal de m’inclure dans leur démarche de décolonisation. Ils me donnent la forte impression qu’ils veulent vraiment nous connaître. Je suis très heureux de leur approche et bien fier de ces jardins. C’est une occasion de présenter nos connaissances sans être ridiculisé. Les gens oublient que tout ce qu’on a vient de la terre. Or on lui prend sans se soucier des déséquilibres qu’on cause. Il faut se réconcilier avec la Nature, s’adapter et vivre en harmonie avec elle. C’est exactement ce qu’on va faire avec nos jardins sur la montagne de l’Université de Montréal. »
Pour en savoir plus sur la politique Décolonisation, réconciliation, autochtonisation de la FEP.
Pour découvrir le cours Santé des personnes et des communautés autochtones.
* Selon la définition de l’Encyclopédie canadienne