Stéphanie Marin, journaliste aux affaires policières et judiciaires pour Le Devoir, était présente lors des Grandes Retrouvailles de l’Université de Montréal et du 50e anniversaire du programme en journalisme de la Faculté de l’éducation permanente (FEP) de l’Université de Montréal. Un agréable moment et l’occasion d’assister à de riches échanges entre panélistes de la communauté journalistique, dont la journaliste judiciaire faisait partie.
Sa présence aux Grandes Retrouvailles, qui plus est pour célébrer le 50e anniversaire du programme en journalisme, paraissait comme inévitable. Stéphanie Marin, journaliste aux affaires policières et judiciaires pour Le Devoir, a en effet obtenu son certificat en journalisme multiplateforme à la FEP en 2007. Elle a ensuite enchaîné une carrière de journaliste pour Radio-Canada, CPAC (La Chaîne d'affaires publiques) et endossé le rôle d’analyste politique pour Power Play, à CTV. Elle a également été correspondante parlementaire à La Presse Canadienne, où elle a œuvré pendant une dizaine d’années. Aujourd’hui, l’actuelle vice-présidente de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) est ancrée dans le paysage judiciaire québécois en tant que journaliste aux affaires policières et judiciaires pour Le Devoir. Un rôle qui lui va à merveille, lorsqu’on sait d’où elle vient. Rencontre avec Stéphanie Marin.
Q : Tu as fréquenté le Palais de justice comme avocate et aujourd’hui tu t’y rends comme journaliste judiciaire. Pour toi qui connais l’envers du décor, que ressens-tu ?
R : Au cours des deux dernières années, je suis allée au Palais de justice beaucoup plus qu'avant. C'est vrai, je ne l’ai pas délaissé, mais maintenant c'est quelque chose que je vois comme étant très différent. Personnellement, je suis plus sereine que quand j'étais avocate, puis l'objectif est vraiment différent quand on choisit de couvrir des causes. Il y a ici une question d'utilité sociale, sur des sujets qu’on veut dénoncer.
Puis des fois, ça peut être plus subtil, on évoque des changements en droit de la famille qui ont un impact majeur dans la vie des gens. Quand le droit change, les gens ont besoin de savoir.
Q : Pourquoi as-tu voulu échanger la toge d’avocate pour la plume de journaliste ?
R : L'envie de passer du monde du droit au journalisme est née de ma recherche d'une dimension plus créative dans mon travail. Le journalisme partage certaines similitudes avec le droit, notamment dans la recherche de faits et la quête de vérité, mais le journalisme offre une plus grande liberté créative pour communiquer des informations importantes au public. Pendant les deux dernières années, en tant que journaliste spécialisé dans l'actualité judiciaire au Devoir, j’ai passé plus de temps au palais de justice que lorsque j’étais avocate, mais je trouve que c'est une expérience différente et personnellement plus enrichissante que ma pratique antérieure du droit.
Donc, oui, il a y énormément de similitudes entre les deux professions. Comme je l’ai souligné, la recherche de faits, de vouloir avoir les faits exacts, cette espèce de recherche de vérité qui nous guide, vérifier l'exactitude de tout ce qu'on fait… Parce que même en droit, on peut dire qu’on fait des sortes d’entrevues lorsqu’on fait des interrogatoires au préalable. C’est à ce moment-là qu’on va chercher toute notre information. On essaie de bâtir une défense avec ça comme on bâtit un article avec des entrevues. Encore un exemple qui démontre que ces deux mondes se rejoignent. Mais voilà, un moment donné on aperçoit la limite, on ne peut pas être si créatif en droit. Par créativité, je ne fais pas allusion au côté artistique, je ne suis ni chanteuse ni comédienne, mais j'avais besoin de quelque chose où j'allais avoir une plus grande part de communication. J'avais encore des tonnes de choses à apprendre dans mon métier d’avocate, mais au niveau de ma personnalité, ça ne correspondait pas assez à ce que j'étais, à ce que je voulais être. Alors j'ai fait le bon, mais c'était réfléchi.
Q : As-tu une affaire qui t’a marquée plus qu’une autre ?
R : Oui, celle concernant Élisabeth Rioux, qui est une femme d'affaires et influenceuse très populaire au Québec et qui a été victime de violences conjugales. Elle a décidé de le dénoncer. Je me suis dit, mais quelle chance qu'elle est décidée d'aller sur la place publique pour parler de ce fléau, parce que bien souvent on ne connaît pas le nom des victimes de violences conjugales.
Une belle jeune femme, qui a du succès, un superbe visage… Son histoire a détruit beaucoup de préjugés. L’opinion générale pense que ça ne peut pas arriver à ce genre de jeune femme, alors que la violence conjugale peut arriver à tout le monde.
Sur un plan personnel, j'étais contente de pouvoir écrire ça. J'étais vraiment reconnaissante à cette femme-là d'avoir eu le courage de mettre son nom, puis son visage là-dessus. Parce qu’il y a plein de jeunes filles qui voient ça, réfléchissent, puis dénoncent à leur tour. Voilà l'utilité sociale de l’action entreprise par Élisabeth Rioux.
Q : Peux-tu nous décrire ta journée type ?
R : Ça varie beaucoup. Des causes criminelles en passant par des causes au civil, il y a beaucoup de causes que je veux suivre. On parle beaucoup des procès, mais il y a toutes sortes d'étapes à suivre qui sont importantes avant d'arriver au procès, surtout en droit criminel. La comparution, l'enquête, donc toutes ces étapes dans lesquelles on prend de l'information. À partir du moment où je pense qu'une cause est importante, je la mets dans mon agenda et selon l'actualité, je décide de suivre l’affaire.
La police, évidemment, nous alimente beaucoup. Il y a toutes sortes de choses qui se passent, dont les meurtres ou les agressions, donc on reçoit beaucoup d’information les concernant. Il faut réagir immédiatement lorsqu’une information traite de l'actualité du moment. Ensuite, il y a une autre sorte de traitement de l’information, celle du suivi de toutes les causes judiciaires, qu’on suit étape par étape. Puis enfin, il y a toutes sortes de sujets que je vais suivre, qui sont mes idées, qui sont des choses plus reliées aux changements législatifs. Par exemple, une grosse réforme en droit familial a commencé, elle va se poursuivre et on doit se mettre à jour au niveau législatif.
L’an dernier, j'ai fait un texte sur le programme de supplément au loyer (PSL) qui est possible pour les femmes victimes de violences conjugales, parce que j'ai assisté à une conférence spécialisée. Un supplément de loyer, ça peut paraître banal, mais très souvent, les femmes ne quittent pas leur milieu violent parce qu'elles n’ont pas d'endroit où habiter. J'ai décidé de faire un article sur ce sujet parce que ce n’était pas forcément ancré dans l'actualité alors que c’est extrêmement important. L'été dernier, j'ai fait une série sur le vol d'œuvres d'art. Il y en a énormément, c'est fou. Il existe un immense marché noir, qui implique des enquêtes policières. Le sujet est donc complètement différent du précédent, mais voilà, il faut le traiter aussi et en parler. Il y a donc besoin de creuser pour trouver des sujets, en plus de tout le reste que l’actualité nous fournit.
L’apprentissage du journalisme à la FEP, axé sur la pratique
Q : Explique-nous pourquoi tu as choisi la FEP et comment tu as rejoint le certificat en journalisme ?
R : J'ai préparé ma sortie en tant qu’avocate pendant un an, puis je me suis inscrite à l'Université de Montréal et plus particulièrement à la FEP pour apprendre le journalisme de manière concrète et pratique, puis pour aller chercher d'autres bases. J'avais fait beaucoup de recherches évidemment pour savoir comment me rediriger en journalisme. Quand j'ai pris ma décision de quitter le droit, je ne voulais pas faire trois ans d'études supplémentaires. Faire un bac en communication ou même en journalisme, c'était trop long, c'est pour ça que j'ai choisi le programme de la FEP, plus court, mais surtout qui était très concret et axé sur la pratique, plutôt que de suivre un cursus en communication ou en journalisme plus long et plus théorique. J'avais déjà fait des études où j'avais réfléchi aux grands principes de la vie, à la philosophie et les fondements de la société, donc je n'avais pas le goût de repasser par ça à l'université de Montréal.
Ce qui est vraiment bien dans ce certificat, c'est que tout est axé sur la pratique. On apprend à manipuler une caméra, à filmer, on apprend à faire du montage audio, du montage vidéo, on apprend à être animatrice de télé. L'écriture aussi ! Comment structurer une nouvelle ? Comment aller chercher l'information ? Donc, pour moi, ça a été une formation vraiment extraordinaire, c'était très terre à terre et c'est exactement ce qu’il faut. Mon parcours m'a également conduite à être stagiaire à Radio-Canada pendant que je suivais ce certificat. J'ai été recruté à la suite d'un concours et depuis, je n'ai jamais cessé d'être journaliste.
Q : Quels souvenirs as-tu de ton certificat à la FEP ? Est-ce que tu peux confirmer que le fait de pratiquer, de toucher vraiment du doigt le métier en étant étudiante t’a formé de la meilleure façon pour la suite?
R : C’est vrai qu’on a beaucoup appris en allant sur le terrain pour faire des reportages comme si on était des journalistes. On partait avec l'enregistreuse et on revenait en reportage radio, on faisait le montage radio exactement comme je l'ai fait des années plus tard à Radio-Canada. C'était le même processus, on avait les mêmes outils. Le logiciel sur lequel j'ai appris à faire du montage audio est pratiquement le même que celui utilisé à Radio-Canada. Donc quand j'ai commencé à Radio-Canada, je connaissais déjà le système.
J'avais un cours de reportage terrain, pendant lequel on peaufinait l'écrit. On arrivait en classe le matin, le professeur nous laissait choisir un sujet pour un reportage puis il fallait revenir avant 17h avec notre reportage écrit. J'ai beaucoup aimé cette pratique. On a aussi appris à faire de la mise en page de journal, donc comment organiser les textes et comment placer les photos. C'est un métier en soi, très spécifique. On a fait du reportage télé, on a produit des reportages, on les a montés et j'ai même fait, avec une collègue, l'animation d'un bulletin de nouvelles. J'ai aussi fait l'animation d'une émission de radio de deux heures dans laquelle on recevait des personnes invitées et on débattait sur différents sujets. Chaque étudiant avait un rôle spécifique. Moi j'étais animatrice, mais il y avait ceux qui s'occupaient du son, d’autres préparaient les entrevues. Je n’ai pas juste accumulé des connaissances, j’ai appris avec la pratique. J'ai beaucoup apprécié d’avoir appris le métier et les outils qu’on doit maîtriser.
Q : L’an dernier, le certificat en journaliste est devenu le certificat en journalisme multiplateforme justement par rapport à ces nouvelles technologies qu'on utilise. Penses-tu que c’est un renouveau nécessaire à notre époque, que d’apprendre à maîtriser plusieurs outils et notamment les réseaux sociaux ou Internet ?
R : Bien sûr, c'est nécessaire et je l'ai déjà dit à de jeunes journalistes. Développez-vous et n’arrivez pas au certificat en ne voulant faire que de la télévision. Non, ce n'est pas possible. Le métier, à la base, il faut que tu le comprennes et que tu l'apprennes. Donc que tu ailles sur le terrain pour ça. Il faut que tu apprennes à faire des entrevues et ne jamais te limiter. Si une opportunité de travailler à la télévision s’ouvre, il ne faut pas hésiter à se lancer. Même chose pour la radio, la presse écrite ou Internet. Donc le multiplateforme est essentiel pour apprendre le métier de journaliste, c'est essentiel pour se trouver des emplois aussi, donc c’est extrêmement pertinent aujourd'hui. À mon époque, lorsque j’ai fait le certificat, Twitter n’existait pas. En tout cas, on n’en parlait pas du tout. J'ai l'impression que les jeunes générations absorbent ça, et qu’ils n’ont peut-être pas besoin de se le faire expliquer. Ils ont grandi avec. Mais peut être qu’une portion, je dirais plus professionnelle, en a besoin, pour être encore plus efficace. C'est un moyen de diffusion puissant, il faut le faire correctement et ce n'est pas facile de diffuser de l'information dans une mer de désinformation. Donc oui à ce niveau-là, professionnellement, je pense qu’il y aurait intérêt à apprendre à faire ça correctement, surtout en considérant la désinformation qui circule sur les médias sociaux.
« Ce métier offre une opportunité extraordinaire de contribuer aux changements sociaux »
Q : Quand on est journaliste judiciaire, quelles qualités ou facultés doit-on avoir ?
R : À la base, je pense qu'il faut être très curieux parce que l'information est partout. Je veux dire par là que je trouve des sujets partout où je vais. Un jour, je suis allé visiter un musée et j'ai trouvé une idée pour un futur reportage. Il faut avoir cette curiosité, de vouloir apprendre, de vouloir creuser aussi. C'est sûr que les meilleures histoires ne sont pas toujours en surface, ça ne nous arrive pas toujours par un communiqué de presse, donc il faut fouiller, il faut avoir le goût d'être un peu tenace. L'information n’est pas si facile que ça à obtenir.
Je pense que ça demande aussi de l'empathie parce que souvent on s’adresse à des victimes qui ont vécu des choses horribles. On doit gagner leur confiance pour parler avec elles. Cela se développe aussi par la qualité de notre travail. Souvent, les personnes hésitent à me parler parce qu'ils ne savent pas ce que je vais faire avec ce qu'ils me confient. Alors, je leur envoie des articles que j'ai écrits dans le passé, pour les mettre en confiance.
Le métier de journaliste judiciaire demande beaucoup d'éthique. On se doit d’adhérer solidement à notre éthique professionnelle.
Q : Changerais-tu quelque chose dans tes choix académiques et ta carrière professionnelle ?
R : Non. Mais si aujourd’hui on m’annonçait qu’il n’y avait plus de rubrique judiciaire au Devoir et que je devais traiter des sujets sur l'environnement, c'est sûr que je ressentirais le besoin d'aller chercher une formation peut-être plus scientifique et sur les besoins du moment dans ce domaine. J'ai entrepris des études en conséquence et je pense que j'ai eu de bonnes bases. Je vois les jeunes journalistes qui maîtrisent des domaines, tels qu’Internet ou les réseaux sociaux, que je n'ai pas abordés lors de ma formation. Le journalisme de données, par exemple, ça n’existait pas vraiment à mon époque quand j'ai appris le métier, alors que maintenant c'est quelque chose qui est appelé à croître énormément. J'ai tous les outils dont j'ai besoin pour faire mon métier actuellement, mais c’est un domaine intéressant et pertinent que j'aimerais approfondir.
Q : Que dirais-tu à une aspirante ou un aspirant au certificat en journalisme multiplateforme pour le conforter dans son choix ?
R : Je dirais qu'il peut y avoir des embûches avant d'arriver à pouvoir se réaliser personnellement et professionnellement, mais que ça en vaut vraiment la peine, que c'est un métier extraordinaire qui nous permet de contribuer à des changements dans la société, qui nous permet d'aider les gens, de toucher les gens de près. C'est un métier qui est fascinant parce qu'on apprend tous les jours et on a cette espèce de pouvoir de parler à la population, de faire une différence dans la vie de nos contemporains. Je trouve que c'est exceptionnel, mais il ne faut pas lâcher ! Je parlais tout à l’heure de ténacité, car ce n'est pas évident au début il faut s’accrocher.
Pour ma part, j'ai vécu beaucoup d'insécurité professionnelle. Au début, j'avais des petits contrats pour Radio-Canada, je me déracinais à chaque fois. Une fois trois mois à Windsor, une autre deux mois à Sudbury. Mes contrats se terminaient et je ne savais jamais où j'allais travailler le lendemain. Par moment, c’est angoissant, inquiétant. Mais en même temps, j’ai tellement appris que ce soit à Windsor ou à Sudbury. Ce sont de superbes expériences, alors il ne faut pas hésiter à les vivre.
Concernant le certificat en journalisme, la formation pratique est indéniablement un point fort. Apprendre à manipuler une caméra, à faire du montage audio et vidéo, ainsi que l'écriture et la structuration d'une nouvelle ont constitué une formation extraordinaire. Autre point très important, on apprend aussi l'importance de l'éthique journalistique pour établir la confiance du public. Et puis, avec l'évolution des médias, j'estime que la connaissance du journalisme multiplateforme est essentielle. Bien que je n'aie pas eu l'occasion d'apprendre spécifiquement l’utilisation des réseaux sociaux lors de mes études, je souligne leur importance dans la diffusion de l'information, nécessitant une utilisation professionnelle et éthique.
En conclusion, je conseillerais aux aspirantes et aspirants journalistes de persévérer malgré les défis initiaux, car ce métier offre une opportunité extraordinaire de contribuer aux changements sociaux, d'apprendre constamment et d'avoir un impact sur la vie des gens.
Pour en savoir plus sur le certificat en journalisme multiplateforme.
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