Si les compétences techniques sont essentielles pour travailler dans le réseau de la santé et des services sociaux (RSSS), les habiletés comportementales sont tout aussi importantes pour quiconque souhaite évoluer et surtout s’épanouir dans ce secteur passionnant.
La Faculté de l’éducation permanente (FEP) de l’Université de Montréal, spécialisée dans les programmes de formation en lien avec le RSSS, s’est entretenue avec deux experts du domaine pour identifier les habiletés qui sont particulièrement attendues, d’autant plus dans un contexte post-pandémique. Au-delà des habiletés relationnelles, de la rigueur et du leadership qu’on peut attendre, il en ressort plusieurs habiletés que nous partageons avec vous dans cet article.
1. Faire preuve de souplesse et penser de manière globale
Si la pandémie a montré quelque chose, c’est qu’il n’y a pas toujours de protocole pour toutes les situations. Pourtant, il n’a pas fallu attendre la Covid-19 pour que les professionnel·es de la santé et des services sociaux aient conscience de cette dose d’imprévus quand il s’agit de prendre une décision clinique ou de gestion. Par la nature même des services offerts, ceux-ci se trouvent constamment face à des situations où il n’y a pas de solution toute faite ni de réponse « blanc ou noir ». Parce qu’il s’agit d’humain, une certaine dose de souplesse et d’adaptation est attendue, voire nécessaire.
Selon Chantal Levesque, responsable de programmes et chargée de cours au certificat en santé publique et au certificat en gestion des services de santé et des services sociaux de la FEP, travailler dans le réseau de la santé demande d’être relativement à l’aise avec l’ambiguïté. « Il faut être capable de sortir de sa zone de confort » explique-t-elle. « Chaque décision qu’on prend quand on travaille dans le réseau de la santé résulte de l’analyse d’un ensemble d’éléments qui ne peut pas se faire de manière rigide. Dans mes cours, je constate que beaucoup d’étudiants et d’étudiantes ont l’habitude de suivre des protocoles, mais parfois, et la pandémie l’a montré… il n’y en a pas. C’est là qu’il faut composer avec l’ambiguïté ».
Jacques Fortin, lui aussi chargé de cours à la FEP, au sein du certificat en gestion des services de santé et des services sociaux, partage son avis : « pour prendre une décision au meilleur du possible, il faut savoir naviguer dans l’incertitude, penser de manière multifactorielle. Un geste clinique (ou une décision de gestion) que l’on effectue aujourd’hui sera fait en fonction de facteurs plus ou moins différents demain, et surtout avec des degrés différents, dans un autre contexte et avec une autre personne. Les deux réponses seront probablement bonnes et il faudra même qu’elles soient différentes pour être bonnes. Il est donc important de saisir la complexité de chaque situation, d’utiliser plusieurs sources d’information, de prendre plusieurs angles d’analyse différents en vue de prendre la bonne décision. C’est ce qui fait la richesse de cet environnement de travail. »
2. Savoir composer avec la différence et prendre de la distance avec ses propres valeurs
Quand on travaille dans le domaine de la santé et des services sociaux, on intervient avec des humains, vulnérables de surcroît quand il s’agit des utilisateurs de services. Toutes ces personnes n’ont pas les mêmes volontés, les mêmes histoires de vie, les mêmes croyances, ni les mêmes valeurs. Il faut donc faire preuve de tolérance et composer avec cette différence. « L’empathie et la bienveillance sont essentielles quand on travaille dans le RSSS, tout comme la capacité à prendre de la distance avec ses propres valeurs » explique Chantal Levesque. « On peut faire preuve d’empathie sans pour autant adhérer aux valeurs de l’autre. Il est toutefois important de respecter ses valeurs, de comprendre où se place l’autre, quelle est son histoire, quelles sont ses réalités et ce, sans les juger ». C’est dans cet ordre d’idée que la FEP a créé un cours en ligne sur la santé des personnes et des communautés autochtones qui permet de mieux connaître les réalités et les cultures des personnes autochtones.
3. Être à l’aise avec différents publics
Cette différence peut se manifester au travers de plusieurs cultures, mais aussi au travers de publics qui ne peuvent pas être abordés de la même manière. Selon que l’on soigne des personnes âgées ou des jeunes, des personnes en situation de dépendance ou pas, des personnes victimes de violence, etc., les approches gagneront à être adaptées. De plus en plus d’infirmières et autre personnel de santé et services sociaux choisissent d’ailleurs de poursuivre leur formation tout au long de leur carrière pour apprendre à interagir avec ces différents publics en suivant par exemple un certificat en santé publique, un certificat de gérontologie, d’intervention en dépendances ou d’intervention psychoéducative, un certificat en santé mentale, en victimologie ou en sexualité ou encore un microprogramme en soins palliatifs et de fin de vie.
4. S’adapter facilement aux changements
« Le réseau de la santé, ça spine et ça ne va pas s’arrêter demain » partage Jacques Fortin, qui connaît bien le réseau de la santé pour y avoir été gestionnaire pendant plus de 30 ans. Quel que soit son domaine de compétences, que ce soit les ressources humaines, les finances ou les soins, il faut être agile si l’on veut travailler dans le domaine de la santé et composer avec ces changements.
5. Faire preuve de curiosité et maîtriser l’écosystème du réseau de la santé et des services sociaux
Comprendre l’environnement complexe du système est essentiel lorsque l’on souhaite y faire sa carrière. « Beaucoup de gens arrivent dans le réseau en tant que généralistes de la gestion ou des ressources humaines par exemple, en pensant qu’ils ou elles vont pouvoir appliquer leurs apprentissages d’autres secteurs, mais en réalité il y a de nombreuses spécificités à notre domaine et il faut maîtriser cet environnement si l’on veut prendre les bonnes décisions. » partage Jacques Fortin. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la FEP a créé le certificat en gestion des services de santé et des services sociaux où il enseigne. Ce programme est dédié à l’acquisition de compétences comme gestionnaire, spécifiquement dans le milieu de la santé et des services sociaux du Québec. Il peut intéresser tant les cliniciens et cliniciennes que le personnel administratif ou de soutien, car il permet de maîtriser l’écosystème du secteur de la santé et des services sociaux et d’appliquer son expertise à cet environnement. Chantal Levesque le confirme : « il est essentiel de comprendre ce domaine si l’on veut y travailler. D’ailleurs, je conseille souvent aux étudiantes et étudiants qui viennent de l’extérieur du réseau comme d’ailleurs dans le monde ou du Canada, de prendre des cours du certificat en santé publique pour se créer un bagage qui leur permettra de mieux comprendre leur nouvel environnement. »
6. Savoir travailler en équipe et se remettre en question
Le personnel du RSSS interagit et communique constamment avec des partenaires externes pour mener sa mission, comme la police dans le cadre de la Loi sur la maltraitance, les écoles lorsqu’on est infirmière ou travailleur social en milieu scolaire, les organismes communautaires et les écoles lorsqu’on travaille en déficience intellectuelle, les organismes judiciaires lorsqu’on travaille en psychiatrie, etc.
« Une infirmière ne peut pas juste soigner la plaie, elle doit regarder l’état général de la personne. » explique Jacques Fortin. « Si elle travaille à l’urgence par exemple et qu’elle reçoit quelqu’un qui visiblement a fait l’objet de violences, elle a la responsabilité déontologique de faire un signalement et d’engendrer un processus qui enclenchera l’arrivée d’une équipe policière à l’urgence, la prise de témoignage, etc. Il est donc important de faire preuve de compréhension intersectorielle et de travail d’équipe. » La santé de la population n’est ainsi pas une responsabilité qui repose exclusivement sur le réseau de la santé et des services sociaux.
On retrouve d’ailleurs ici la capacité à composer avec la différence, pas seulement humaine mais également organisationnelle. Selon Chantal Levesque, cette collaboration demande une certaine humilité personnelle mais aussi « institutionnelle » car la personne issue du réseau de la santé ne pourra pas apporter toutes les réponses toute seule. Certaines réponses vont se trouver dans les autres organisations, c’est pourquoi il faut être capable de se remettre en question. Elle donne l’exemple des soins pour les personnes autochtones : « il y a une méfiance de la part des personnes autochtones à l’égard des établissements de santé et des organisations publics de manière générale. Il serait donc intéressant d’étudier d’autres avenues pour les soigner. Pourquoi, par exemple, ne pas sortir du CLSC pour offrir des soins dans un centre d’amitié autochtone, sur le modèle des soins de proximité ? Ainsi, on augmenterait la sécurisation culturelle pour la personne soignée et on faciliterait ses soins. »
7. Avoir une bonne tolérance au stress
La capacité à apprendre vite et à faire preuve d’autonomie sont également des atouts quand on arrive dans cet environnement de travail complexe, qui évolue, nous l’avons vu, très rapidement. Cela demande donc une bonne tolérance au stress et une certaine maturité émotionnelle.
« Quand j’ai commencé comme gestionnaire, j’ai eu la chance de gérer une petite équipe de 30 personnes. Aujourd’hui, il est courant que des gestionnaires commencent avec 150 employées et employés en ayant moins de temps de parrainage qu’avant. Cela peut occasionner un certain stress, mais cela se travaille et c’est un aspect du métier pour lequel nous donnons des outils dans le certificat en gestion des services de santé et des services sociaux. » partage Jacques Fortin.
Par ailleurs, le personnel de santé est constamment en train de prioriser les décisions, ce qui participe à ce stress. « On est régulièrement en train de prendre des décisions : qui doit quitter l’hôpital parce que l’urgence est pleine ? Comment trouver une porte de sortie avec un patient ou une patiente qui nous rejette ? Quelle décision prendre quand on est la seule infirmière de nuit qui peut prendre cette décision ? Comment accompagner les personnes soignées qui qui doivent elles-mêmes gérer leur stress ? Bref, il faut savoir naviguer dans cet environnement mouvant et gérer ses émotions pour éviter de rapporter ce stress à la maison ».
8. Avoir le sens de l’engagement et vouloir changer la vie des gens
Si l’on veut s’épanouir dans le système de santé, il faut avoir envie de s’engager. « Je travaille dans le réseau depuis plus de 30 ans. » confie Jacques Fortin. « Travailler dans le réseau de la santé et des services sociaux n’est pas de tout repos. Les heures sont nombreuses et intenses. Mais c’est un domaine passionnant, très valorisant et enrichissant. Il faut, pour cela, avoir envie de changer la vie des gens. C’est trop de travail, sinon. Je suis heureux de voir que la relève est tout aussi motivée. »
Pour en savoir plus sur les programmes en santé de la FEP
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