L'histoire d’Alain Trudeau, qui a consacré une grande partie de sa vie à l'étude et à l'enseignement de la criminologie, est un exemple inspirant de dévouement à la fois envers les personnes marginalisées et les générations futures de criminologues. Témoignage d’un éducateur spécialisé devenu criminologue, enseignant et mentor.
Dans l'univers des sciences sociales, la criminologie est une discipline à la fois complexe et nécessaire. Son but est de comprendre la criminalité, ses causes, ses effets, et d’élaborer des solutions adaptées à une réalité en constante évolution. L'enseignement de la criminologie et l'intervention criminologique sont donc des domaines qui évoluent au gré des changements sociaux, des avancées technologiques et des transformations du paysage criminel. Pourtant, l’expérience d’Alain Trudeau témoigne d'une constante : l’importance de l’humain dans la relation d’intervention. Ce n’est pas par hasard qu’il a choisi la voie de l’intervention sociale. Issu d’une formation d’éducateur spécialisé, il a toujours été attiré par les populations en difficulté, celles et ceux qui se trouvent à la marge de la société.
D’étudiant à chargé de cours dans la même Faculté
Au fur et à mesure de sa carrière, il a diversifié ses fonctions. « J’ai toujours eu un intérêt pour l'enseignement, c’était un complément naturel à mon expérience de terrain », dit-il. Son parcours a pris un tournant décisif lorsqu’il décide de se lancer dans la criminologie, un domaine qui combine à la fois son empathie pour les jeunes en difficulté et son désir de mieux comprendre la criminalité et ses causes.
Titulaire d’un baccalauréat par cumul à la Faculté de l’éducation permanente de l’Université de Montréal puis d’une maîtrise à l’École de criminologie de la Faculté des arts et des sciences, Alain Trudeau commence à enseigner au Collège Ahuntsic, d'abord en technique d'intervention en délinquance, puis à partir de 1994 à l’Université de Montréal comme chargé de cours dans le cadre du certificat d'intervention auprès des jeunes : fondements et pratiques de la FEP. Depuis 1997, il est également chargé de cours pour le certificat en criminologie de la Faculté de l’éducation permanente de l’Université de Montréal. « Pendant plus de 25 ans, je n’ai donné qu'un seul cours intitulé délinquance et facteurs criminogènes (CRI 1511G) et depuis quelque temps je donne celui sur les études du phénomène criminel (CRI 3401) qui est le cours d'intégration dans le cadre du baccalauréat par cumul en études du phénomène criminel », explique-t-il. En effet, ce dernier cours nécessitait un pédagogue d’expérience et détenant une grande érudition en criminologie. Tout un défi, puisqu’il s’agit d’une activité d’intégration où le chargé de cours accompagne chacun des étudiants et étudiantes dans la production d’un travail individuel dirigé. « Avec Alain Trudeau, je savais que les finissants et finissantes seraient entre d’excellentes mains et qu’il les inspirerait à produire un travail de qualité universitaire », confie Fabienne Cusson, responsable du certificat en criminologie et du BACCAP en études du phénomène criminel.
Lorsqu'on lui demande de décrire sa méthode d'enseignement, l’enseignant criminologue insiste sur l’importance d’une pédagogie dynamique et interactive. « Je cherche à mettre les personnes étudiantes en action, à leur faire évaluer ce qu’ils ont appris et à les amener à appliquer leurs connaissances », explique-t-il. Dans une époque où l’enseignement à distance est devenu incontournable, il a su s’adapter. Conscient des limites de la méthode traditionnelle des documents informatiques et des cours magistraux, il a privilégié une approche plus active. Les étudiants et étudiantes reçoivent des capsules d'information et participent ensuite à des activités pratiques, comme l'analyse de cas réels ou la révision de concepts via des plateformes interactives. « Ce que j’aime, c’est qu’il y ait de l’interaction, même à distance, souligne-t-il. La pandémie a fait évoluer l'enseignement en ligne, mais l’expérience m’a permis de développer de nouvelles techniques d’enseignement qui mettent davantage l’accent sur l’engagement de la communauté étudiante. »
L'importance de la relation dans l'intervention criminologique
L’un des aspects les plus marquants de son parcours est la place donnée à la relation d’aide dans le travail criminologique. « La relation est au cœur du travail criminologique, insiste le professionnel. Malgré l’évolution des outils d’intervention, je reste convaincu que rien ne remplace l’établissement d’une relation de confiance avec l'individu. Il faut revenir à la base. C'est avant tout un travail relationnel », affirme-t-il. En ce sens, il déplore la tendance actuelle à rechercher des solutions rapides, souvent basées sur l'efficacité ou la technologie, au détriment du travail de fond nécessaire à l’établissement d'une relation de confiance.
Le criminologue constate aussi que la crise des effectifs dans les institutions sociales exacerbe ce problème. Dans de nombreux établissements, les travailleuses et travailleurs sociaux ne sont pas en mesure de suivre leur patientèle de manière continue, ce qui peut nuire au processus de réadaptation des individus. « Un jeune en difficulté n’a pas toujours affaire aux mêmes intervenants. Cela complique la relation et, souvent, l’intervention », explique-t-il.
Sa carrière a été une longue série de passages de témoin, et de nombreuses anecdotes témoignent d’une autre forme de relation : l’impact qu’il a eu sur son public étudiant. En tant que chef de service au Centre jeunesse de Laval, il a croisé le chemin de nombreuses anciennes personnes étudiantes. « Je me suis retrouvé entouré de plus de dix étudiantes ou étudiants que j'avais formés dans mon rôle de chef de service », raconte-t-il, visiblement fier de voir ces jeunes professionnels et professionnelles prendre le relais dans un milieu qu’il connaît bien. « Je me souviens aussi des jeunes que j'avais formés au collège Ahuntsic et qui sont devenus mes collègues à l’université, tout en poursuivant leurs études supérieures », se souvient le chargé de cours.
Pour lui, cette transmission est essentielle. Il incite sa communauté étudiante à comprendre les enjeux de la criminologie et à se préparer à travailler dans un milieu vaste et complexe. La criminologie, selon lui, est un domaine « passionnant et riche », mais il insiste sur l'importance de connaître les limites du métier. « Il faut savoir dans quel milieu on veut œuvrer, car le travail en prévention, par exemple, n’a rien à voir avec le travail en centre pénitentiaire », souligne-t-il.
Évolution et adaptation
Le criminologue vit l'évolution de la criminologie tout au long de sa carrière, ce qui lui permet d’adapter ses enseignements aux nouvelles réalités sociales. Selon lui, les approches en criminologie ont beaucoup évolué, tout comme la manière dont la société perçoit les populations marginalisées. « Dans les dix dernières années, il y a eu une montée de l’intolérance envers certaines populations marginalisées », souligne-t-il. Cela s’accompagne d’une prise de conscience croissante de la violence faite aux femmes et d'une recrudescence inquiétante des crimes haineux. La violence, bien que moins visible qu’avant, reste omniprésente. »
Une évolution marquante est la montée en puissance de la cybercriminalité, qui n’était même pas un concept dans les années 90. Les crimes liés à Internet, comme le vol d'identité ou la fraude en ligne, sont désormais des réalités quotidiennes pour de nombreuses personnes. Pour l’enseignant, cela implique de réajuster le contenu des cours afin de préparer les futurs et futures criminologues à cette nouvelle forme de criminalité.
Alors que la discipline se modernise, il est essentiel de ne pas oublier les principes de base : la formation, la relation de confiance et l’engagement envers les personnes en difficulté restent les piliers du travail criminologique. Quand on lui pose la question, aucun doute, pour Alain Trudeau, l’avenir de la criminologie réside dans un équilibre entre l’innovation technologique et la préservation des valeurs humaines.
Pour en savoir plus sur le certificat d'intervention auprès des jeunes : fondements et pratique, le certificat en criminologie et le baccalauréat par cumul en études du phénomène criminel.